Des méandres numériques de YouTube, surgit une tribune postée le 27 juillet 2025 sur la chaîne « INFO EN BREF », la vidéo de Barnabé Kikaya Bin Karubi – ancien conseiller diplomatique de Joseph Kabila – qui s’adresse, du haut de ses 71 ans d’âge, directement à la génération « millennials » et « Z« .
« Le pays leur appartient », martèle-t-il d’une voix professorale, assis dans une bibliothèque aux airs d’érudition intemporelle!
Mais derrière cette leçon d’histoire sur le dialogue, se cache une charge politique acérée contre le régime de Félix Tshisekedi, déguisée en exercice pédagogique.
Kikaya n’est pas un novice en matière de rhétorique. Né en 1954, cet ancien ambassadeur au Royaume-Uni et au Zimbabwe, poussé à l’exil en juin 2021 après des accusations de détournement de fonds publics, dans le cadre du scandale des cartes bancaires qui puisaient les fonds directement du Trésor public, utilise la vidéo pour tisser un récit habile.
Il commence par un appel générationnel : les baby-boomers comme lui doivent céder la place aux trentenaires et quadragénaires, ces « jeunes adultes » qu’il exhorte à préserver les richesses minières de l’Est – coltan, lithium, cuivre, cobalt, uranium – contre toute « braderie » au profit d’un pouvoir éphémère. « Un patrimoine commun qu’on ne peut en aucun cas brader pour la protection d’un pouvoir quelconque« , assène-t-il, pointant du doigt les accords en gestation entre la RDC et les Etats Unis, en matière de ressources stratégiques.
Le cœur du discours ? Une plongée dans l’histoire tumultueuse de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) de 1991-1992, sous le règne déclinant de Mobutu Sese Seko. Kikaya la dépeint comme un « passage obligé » du dialogue national, un forum convoqué sous la pression populaire mais saboté par l’obstination de Mobutu. Il égrène les dates comme un professeur au tableau noir : la libéralisation politique du 24 avril 1990, les nominations chaotiques de Premiers ministres (Étienne Tshisekedi, Bernardin Mungul Diaka, Jean Nguza Karl-i-Bond), la marche sanglante des chrétiens le 16 février 1992, et l’Acte fondamental du 5 mai proclamant la souveraineté de la CNS.
Les objectifs ? Relire l’histoire du Zaïre de 1960 à 1991, afin d’instaurer un nouvel ordre institutionnel via une nouvelle constitution.
Résultat ? Un échec du à l’ inapplication des décisions des conférenciers et au sabotage orchestré contre le PM élu par les conférenciers: rapports sur les assassinats non présentés, constitution avortée, réconciliation fantôme. Kikaya lit in extenso le préambule de l’Acte, un texte poignant sur la « crise profonde » – paupérisation, corruption, tribalisme – qui résonne, selon lui, étrangement avec le Congo d’aujourd’hui. Mais voici où le narratif se fait percutant… et contradictoire.
Kikaya trace un parallèle audacieux entre Mobutu et le régime actuel de l’UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social), parti de Tshisekedi. « Comme le régime du Mouvement Populaire de la Révolution en 1991, le régime UDPS crée lui-même les raisons du dialogue », accuse-t-il.
Il fustige l' »obstination » du président à se méfier d’ un dialogue tel que proposé par la « synergie SynC » – une référence au Pacte Social pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble, lancé par la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC) en décembre 2024. Ce pacte, présenté en mai 2025 et remis à Tshisekedi en juin, viserait à restaurer la cohésion nationale via un dialogue sur la paix, la gouvernance et les conflits à l’Est.
Kikaya l’érige en antidote à la « dictature », mais son insistance sur un dialogue « ouvert à l’enrichissement » sonne comme une manœuvre pour réhabiliter les figures pro-Kabila, dont lui-même, à la barbe des jeunes engagés à qui il prétendait remettre le pouvoir…
Critiquement, ce discours brille par sa rhétorique mais trébuche sur ses biais.
Kikaya simplifie la CNS en un échec imputable à Mobutu, occultant les autres causes que personnellement, en tant qu’ ancien Conférencier, je pourrais largement détailler…
Il idéalise le passé pour mieux torpiller le présent, accusant l’UDPS de vouloir un dialogue « à son image », comme Mobutu.
Pourtant, ses propres liens avec Kabila révèlent un agenda. En exil, Kikaya multiplie les critiques acerbes contre le régime Tshisekedi: en juin, il dénonce la « cruauté » du ministre Constant Mutamba; et en juillet, depuis les États-Unis, il vante un pays qui « n’expulse pas les opposants » et ainsi de suite.
Ces posts montrent un homme qui, dans sa vieillesse, n’a pas perdu complétement sa verve, mais qui risque de polariser plutôt que d’unir la jeunesse à laquelle il prétend s’adresser, par une lecture instrumentalisée de l’histoire.
Pourtant, son appel à « conscientiser » les jeunes pour préserver les ressources ignore certaines réalités incontestables : les minerais de la RDC sont déjà au cœur de trafics internationaux des rebelles du M23 et du Rwanda, et le pacte des églises, bien que louable, peine à s’imposer à cause des positions partisanes de celles-ci, qui refusent de condamner l’agression de la RDCongo ainsi que le caractère de « proxy » de la rébellion du AFC/M23.
Au final, cette tribune est un cri d’un vieux exilé nostalgique qui refuse le silence, mais elle soulève plus de questions qu’elle n’apporte de solutions. Dans un Congo où Kabila orchestre un « come-back » parmi les rebelles depuis son exil, Kikaya joue-t-il le rôle de mentor ou bien de la marionnette qui élabore un narratif séduisant pour son maitre, politiquement en perte de vitesse ?
Son discours risque de n’être qu’un écho dans le vide si la jeunesse qu’il courtise opte pour l’action, la paix et les nouvelles dynamiques politiques tshisekedistes, plutôt que la nostalgie d’un passé qui n’ a pas apporté de vraies solutions aux problèmes de jeunes.
En ces temps de tensions, une chose est sûre : le dialogue qu’il prône pourrait bien être le monologue partisan d’un exilé qui cherche a tout prix à justifier son ralliement aux rebelles du AFC/M23, dans un pays qui en a vu trop, depuis 30 ans, et dont la jeunesse cherche la paix, la stabilité et le développement, se méfiant comme la peste des palabres par lesquelles ceux qui ont trahi la nation cherchent de revenir aux affaires, marchant sur la tête des générations « Z » et « millennial ».
Résistant Congolais