
Doha, 9 avril 2025 — Sous les lustres dorés des salons qataris, un duel diplomatique à couteaux tirés se joue. D’un côté, le gouvernement de la République démocratique du Congo, décidé à reprendre la main dans un Est ravagé par la guerre. De l’autre, les rebelles de l’Alliance du Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), maîtres de Goma et Bukavu, qui exigent leur place à la table d’un pays qu’ils estiment leur avoir été volé. Après des années de massacres, de déplacements massifs et d’échecs retentissants, ces négociations à Doha portent un espoir ténu de paix. Mais entre les lignes rouges de Kinshasa et les revendications brûlantes des insurgés, le fossé semble abyssal.
KINSHASA, INFLEXIBLE : LA SOUVERAINETE OU RIEN
À Doha, Félix Tshisekedi envoie un message clair : la RDC ne pliera pas. Face à des rebelles qu’il qualifie de « marionnettes » manipulées par des puissances étrangères — le Rwanda en ligne de mire —, Kinshasa pose des conditions d’airain. Pas de dialogue sans un cessez-le-feu immédiat, exigé sans concession pour tester la bonne foi de l’adversaire. Pas d’intégration des rebelles dans l’armée nationale, un refus catégorique de voir les combattants de l’AFC/M23 rejoindre les rangs des FARDC. Les zones occupées, comme Goma et Bukavu, devront être libérées sans délai, et les insurgés devront se plier au programme de désarmement (PDDRCS), point final. Enfin, aucune administration rebelle ne sera tolérée, même pour un jour.
Pour Kinshasa, c’est une question de survie : restaurer l’autorité de l’État, écraser toute légitimité des rebelles et reprendre le contrôle d’un territoire morcelé. Une posture inflexible qui résonne comme un ultimatum. Mais à vouloir tout imposer, le gouvernement risque-t-il de fermer la porte à tout compromis ?
LES PREALABLES DE KINSHASA
Le gouvernement congolais a établi des conditions claires et fermes pour engager les négociations :
· Cessez-le-feu immédiat et sans condition : Kinshasa exige un arrêt total des hostilités comme préalable à tout dialogue.
· Pas d’intégration, mixage ou brassage des rebelles dans l’armée : Les Forces armées de la RDC (FARDC) ne doivent pas intégrer les éléments rebelles ou terroristes.
· Retrait des rebelles des zones occupées : Les territoires illégalement contrôlés, tels que Goma et Bukavu, doivent être libérés.
· Acceptation du PDDRCS : Les rebelles doivent adhérer au Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation.
· Pas d’administration des entités par les rebelles : Kinshasa refuse toute gouvernance parallèle dans les zones sous contrôle rebelle.
Ces exigences traduisent une posture de souveraineté forte, visant à désarmer et démanteler l’AFC/M23 sans leur accorder de légitimité politique ou militaire.
L’AFC/M23, ENTRE SURVIE ET REVENDICATIONS
En face, les rebelles ne viennent pas en suppliants. Forts de leurs conquêtes dans l’Est, ils posent sept conditions, un mélange de pragmatisme et de cris du cœur. D’abord, une déclaration publique de Tshisekedi reconnaissant la nécessité d’un dialogue direct — une légitimation symbolique qu’ils réclament à cor et à cri. Ensuite, l’abrogation des sanctions et de la résolution de novembre 2022 qui les ostracise, ainsi que l’annulation des poursuites judiciaires qui pèsent sur leurs têtes, avec des condamnations à mort et des primes pour leur capture. Ils exigent aussi la libération des prisonniers liés à leur cause, souvent arrêtés pour leur seule appartenance ethnique tutsie.
Mais leurs demandes vont plus loin. L’AFC/M23, porte-voix d’une communauté stigmatisée, veut la fin des discours de haine et des violences ethniques qui les ciblent, ainsi qu’une protection pour les Tutsis. Enfin, ils acceptent un cessez-le-feu, mais bilatéral, négocié, pas imposé. Pour eux, poser les armes sans garanties équivaudrait à une reddition — hors de question.
LES PREALABLES DE L’AFC/M23
Les rebelles, qui contrôlent de larges pans de l’est de la RDC, ont formulé sept conditions pour négocier :
· Déclaration publique de Félix Tshisekedi : Le président doit exprimer publiquement sa volonté de négocier directement avec l’AFC/M23.
· Abrogation de la résolution du 8 novembre 2022 : Cette résolution de l’Assemblée nationale, ainsi que toutes les mesures restrictives contre l’AFC/M23, doivent être annulées.
· Annulation des condamnations et mandats d’arrêt : Les poursuites judiciaires, condamnations à mort et récompenses pour la capture des dirigeants rebelles doivent être levées.
· Libération des civils et militaires arrêtés : Les personnes détenues pour leur lien présumé avec l’AFC/M23, souvent en raison de leur ethnie ou apparence, doivent être libérées.
· Fin des discours de haine : L’AFC/M23 exige la criminalisation des discours de haine, actes d’oppression et violences ciblant les Congolais parlant swahili ou kinyarwanda, accusés de collaboration.
· Fin de la discrimination et du déni de nationalité : Les communautés tutsies doivent être protégées contre toute discrimination ou remise en question de leur citoyenneté congolaise.
· Accord bilatéral de cessez-le-feu : Contrairement à l’exigence unilatérale de Kinshasa, l’AFC/M23 veut un cessez-le-feu négocié et signé.
· Ces préalables reflètent les priorités de l’AFC/M23 : obtenir une reconnaissance politique et protéger les droits des communautés souvent stigmatisées dans ce conflit.
ANALYSE DES POSITIONS RESPECTIVES
Les préalables des deux parties mettent en évidence des divergences profondes :
Cessez-le-feu : les deux camps souhaitent un arrêt des combats, mais Kinshasa le veut immédiat et sans condition, tandis que l’AFC/M23 exige un accord bilatéral. Ce point pourrait servir de base aux discussions, à condition de s’entendre sur les modalités.
Reconnaissance et légitimité : Kinshasa refuse toute intégration des rebelles dans l’armée ou administration, cherchant à les neutraliser via le PDDRCS. L’AFC/M23, au contraire, demande une reconnaissance politique (déclaration de Tshisekedi, abrogation des mesures restrictives), ce qui constitue un point de friction majeur.
Territoires occupés : le retrait des zones comme Goma et Bukavu est non négociable pour Kinshasa. Cependant, l’AFC/M23, forte de son contrôle territorial, pourrait conditionner ce retrait à des garanties sur sa sécurité et ses revendications.
Tensions ethniques : les demandes de l’AFC/M23 sur la fin des discours de haine et de la discrimination soulignent les enjeux ethniques, notamment la protection des Tutsis. Kinshasa devra peut-être faire des concessions ici pour apaiser les tensions, bien que cela soit politiquement sensible.
Mais rien n’est gagné. Kinshasa devra peut-être offrir des gages symboliques, l’AFC/M23 renoncer à certaines ambitions.
A la dernière minute, nous apprenons que malgré la présence des deux représentations des parties « in situ » à Doha, les pourparlers de paix entre le M23/AFC et le gouvernement de la RDC sont reportés « sine die ».
Les pourparlers de paix entre le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, qui devaient se tenir mercredi 9 avril 2025 à Doha, ont été reportés sans qu’aucune nouvelle date n’ait été fixée, ont déclaré les sources au sein des deux camps.
Il semble que les lignes rouges des deux camps ne sont pas prête à être bougées.