
Félix Tshisekedi : un président dans la ligne de mire ?
Kinshasa, RDC — Plus de 100 tentatives de coup d’État contre Félix Tshisekedi depuis son arrivée au pouvoir en 2019 ?
C’est l’affirmation choc lancée par le ministre de la Justice, Constant Mutamba, lors d’un meeting politique à Assosa, Kinshasa, le 29 mars 2025, relayée par Infos Express. Une déclaration qui interpelle et intrigue. Mais derrière cette hyperbole, que sait-on vraiment des complots visant le président de la République démocratique du Congo ? Entre faits avérés et discours stratégique, plongée dans une présidence sous haute tension.
MAI 2024 : LE VRAI/FAUX COUP QUI A FAIT TREMBLER KINSHASA
Une seule tentative de coup d’État est solidement documentée. Le 19 mai 2024, des hommes armés ont lancé une double offensive : l’une contre le palais présidentiel, l’autre contre la résidence de Vital Kamerhe, officiellement un « allié » combattu de Tshisekedi. Parmi eux, des Congolais et des étrangers, dirigés par Christian Malanga, un exilé connu pour ses diatribes anti-gouvernementales.
Christian Malanga, le jour de son vrai/faux coup d’ état, au Palais de la Nation, mai 2022
L’opération a été étouffée dans l’œuf par l’armée, Malanga abattu sur place. Quelques mois plus tard, en septembre 2024, un tribunal militaire a prononcé 37 condamnations à mort, dont celles de trois Américains impliqués dans le complot. Ce coup avorté, largement couvert par la presse internationale, a révélé les failles sécuritaires au cœur du pouvoir. Parmi les condamnés à mort, un collaborateur de l’Anr, le belge Jean Jacques Wondo, qui, malgré la condamnation « définitive » à mort par la justice militaire, a été libéré, sans aucune formalité juridique, pour rentrer tranquillement en Belgique en homme libre.
Mais quid des 99 autres supposées tentatives évoquées par Mutamba ?
Les archives publiques restent floues. En février 2022, Tshisekedi avait lui-même évoqué un complot lors d’un sommet de l’Union africaine, précipitant son retour à Kinshasa. Aucun détail concret n’a suivi. Même chose en mai 2019, quand des rumeurs d’infiltration étrangère ont circulé sans jamais être confirmées. Ces incidents, s’ils sont réels, manquent de preuves tangibles pour être qualifiés de coups d’État.
Une rhétorique aux multiples visages
Alors, pourquoi Constant Mutamba avance-t-il un chiffre aussi vertigineux ?
L’hyperbole n’est pas anodine. D’abord, elle dresse le portrait d’un Tshisekedi inébranlable, un survivant face à des ennemis invisibles. Une image qui résonne dans un pays où l’instabilité est une vieille compagne. Ensuite, elle légitime des décisions musclées : l’état de siège dans l’Est, les récentes exécutions judiciaires, ou encore une vigilance accrue contre les ingérences étrangères. Le Rwanda, accusé de soutenir le M23/AFC, est souvent pointé du doigt par Kinshasa.
Mutamba lui-même, ministre depuis mai 2024, pourrait y voir une opportunité. En exaltant la résilience du président, il s’impose comme un fidèle lieutenant dans un paysage politique où les alliances vacillent vite. Mais cette stratégie a un revers : à force d’amplifier les menaces, le gouvernement risque de nourrir la défiance d’une population déjà sceptique.
Un pays toujours au bord du gouffre
Le contexte sécuritaire donne du poids aux craintes de complots. L’Est de la RDC, théâtre de violences incessantes avec des groupes comme le M23/AFC, échappe largement au contrôle de Kinshasa. La tentative de mai 2024 a prouvé que le danger pouvait aussi frapper au cœur de la capitale, au moins selon le récit officiel.
Dans ce climat, parler de 100 tentatives pourrait être une façon de relativiser l’échec de mai, le diluant dans une litanie de menaces supposées.
Pourtant, la réalité est plus nuancée. Si les défis sont immenses — conflits armés, rivalités politiques, pressions étrangères —, le chiffre avancé par Mutamba tient davantage du symbole que de la statistique. Une chose est sûre : gouverner la RDC reste une mission périlleuse.
Vérité ou diversion ?
Entre la tentative avérée de mai 2024 et les allégations vagues des dernières années, Félix Tshisekedi navigue dans un brouillard d’incertitudes. La déclaration de Constant Mutamba, aussi spectaculaire soit-elle, semble plus politique que factuelle. Elle rappelle que, en RDC, le pouvoir se conjugue avec la méfiance et la stabilité avec l’improvisation.
Pour l’instant, Tshisekedi tient bon. Mais dans un pays où chaque jour est un défi, combien de coups — réels ou imaginaires — pourra-t-il encore esquiver, arrivant à s’en sortir à la Fidel Castro ?