LA RENCONTRE DE QATAR, UN POKER MENTEUR QUI NE PEUT QU’ACCOUCHER D’UNE SOURIS

Doha : une valse diplomatique au bord du gouffre congolais entre des interlocuteurs en plein dialogue de sourds.

Le 18 mars 2025, Doha s’est transformée en arène diplomatique où les projecteurs du monde ont capté un instant rare : Paul Kagame, président rwandais, Félix Tshisekedi, chef d’État congolais, et l’émir du Qatar, réunis autour d’une table pour juguler l’incendie qui ravage l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Un sommet à haute tension, soldé par trois communiqués distincts – un rwandais, un congolais, et un texte conjoint – qui, sous leurs airs de bonne volonté, révèlent un fossé béant. Expert en affaires diplomatiques et militaires, je vous plonge dans cette partie d’échecs régionale où chaque mot est une arme, et où la paix, bien que brandie, reste une chimère fragile.

TROIS VOIX, TROIS VISIONS IRRECONCILIABLES

Le Rwanda sort les griffes d’emblée. Son communiqué, taillé au couteau, pose deux priorités explosives : neutraliser les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ces « génocidaires » qui hantent Kigali depuis le génocide de 1994, et ouvrir un dialogue direct avec le M23/AFC, ce groupe rebelle qui progresse dans l’est congolais. Le ton est brut, presque défiant. Pour Kagame, la sécurité de ses frontières prime, et il n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu en réclamant une place à la table pour des acteurs, les rebelle du M23/AFC.

La RDC, elle, répond par un refrain souverainiste. Son texte martèle l’urgence de « restaurer l’intégrité territoriale » et appelle à renforcer les «liens fraternels » avec son voisin, mais sans jamais nommer ni le M23, ni les FDLR. Kinshasa s’accroche aux cadres existants – les processus de paix de Luanda et Nairobi, adossés à la résolution 2773 de l’ONU – et refuse de céder un pouce de terrain aux revendications rwandaises. Une posture claire : pas question de légitimer des rebelles que la RDC accuse d’être téléguidés par Kigali.

Et puis, il y a le communiqué conjoint, une pirouette élégante orchestrée par le Qatar. Ici, pas de noms qui fâchent, pas de détails qui grattent. On y lit une promesse de « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » et un vœu pieux de « poser les bases d’une paix durable». C’est lisse, consensuel, presque trop propre pour un conflit aussi meurtrier. Une chorégraphie diplomatique qui esquive les vrais nœuds du problème, préférant le vernis de l’unité à la rugosité des divergences.

Comparons ces trois partitions. Le Rwanda crie ses angoisses sécuritaires et impose ses conditions, prêt à bousculer l’échiquier. La RDC, elle, se drape dans sa souveraineté, rejetant en bloc les priorités de Kigali comme une intrusion inacceptable. Le texte conjoint ? Une tentative de faire semblant, un écran de fumée qui ne trompe personne.

Ces différences ne sont pas anecdotiques : elles dessinent une fracture profonde, où chaque camp campe sur ses lignes rouges.

UN DIALOGUE RELANCE, MAIS SOUS HAUTE TENSION

Ce sommet n’est pas anodin. Depuis l’embrasement de janvier 2025, Kagame et Tshisekedi ne s’étaient pas assis face à face. Que Doha ait réussi ce coup est un exploit, et le Qatar s’impose comme un chef d’orchestre habile, ravivant une dynamique régionale au point mort. Le communiqué conjoint s’appuie sur les processus de Luanda et Nairobi, signe qu’un fil diplomatique serait renoué. Mais sous la surface, les divergences crépitent. L’obsession rwandaise pour les FDLR et le M23/AFC risque de braquer Kinshasa, qui y verra une tentative d’ingérence. L’absence de ces sujets brûlants dans le texte conjoint, loin de calmer les esprits, pourrait nourrir la méfiance. Le dialogue est là, oui, mais il tangue sur un fil prêt à rompre.

UN CESSEZ-LE-FEU EN TROMPE-L’ŒIL

Militairement, le cessez-le-feu annoncé offre un répit bienvenu. Dans une région où des millions de déplacés étouffent sous la violence, une pause dans les combats est une bouffée d’air.

Mais sans mécanismes de contrôle – aucun n’est mentionné –, ce cessez-le-feu ressemble à une promesse en l’air.

Pire, les exigences rwandaises compliquent l’équation. En poussant pour un dialogue avec le M23/AFC, Kigali pousse Kinshasa dans ses cordes. Et ces « garanties sécuritaires » contre les FDLR ? Elles pourraient légitimer des incursions transfrontalières, rallumant à tout moment un conflit à peine assoupi. Le cessez-le-feu est une avancée, mais sans racines solides, c’est une accalmie avant la prochaine tempête.

CE QU’ON PEUT ATTENDRE : UN SURSIS, PAS UNE SOLUTION

Doha a a pris une belle photo de groupe réunissant ces belligérants, mais le tableau reste sombre. Le communiqué rwandais hurle des priorités que la RDC refuse d’entendre. Le texte congolais s’arc-boute sur une souveraineté que Kigali défie en sourdine. Le statement conjoint, lui, plane au-dessus de la mêlée, aussi beau qu’inefficace. Diplomatiquement, le Qatar a relancé la machine, et un espace de discussion perdure. Militairement, le cessez-le-feu peut sauver des vies, mais il vacille faute de fondations. À quoi s’attendre ? À un répit fragile, miné par des visions inconciliables.

La paix reste un mirage tant que les racines du conflit – le M23/AFC, les FDLR, les soupçons mutuels – ne seront pas affrontées. Doha a dansé une valse diplomatique audacieuse, mais le chaos congolais, lui, n’a pas dit son dernier mot, derrière la patine brillante des photos de circonstance et le poker menteur des protagonistes qui continuent leur dialogue de sourds.

Il est évident qu’une négociation sans un cadre juridique et un cahier de charges bien défini, qui ignore les acteurs locaux du conflit, avec des facilitateurs qui ne soient pas dument mandatés, ne peut qu’accoucher d’une souris.

Résistant Congolais


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