Kinshasa, 5 mars 2025 – Dans une déclaration rare qui fait déjà vibrer les cercles politiques et diplomatiques de la République démocratique du Congo (RDC), l’ancien président Joseph Kabila a réaffirmé sa vision pour la paix dans l’est du pays, théâtre d’un conflit armé qui s’intensifie avec la rébellion du M23/AFC, soutenue par le Rwanda, selon les Nations Unies. Dans une transcription d’interview récemment rendue publique en Namibie et en anglais, Kabila insiste sur la nécessité de retirer toutes les troupes étrangères pour restaurer la souveraineté congolaise et permettre aux Congolais de prendre en main leur destin.

« Dieu sait que nos intentions sont d’être pleinement disponibles pour servir notre pays, notre peuple, et l’Afrique entière », déclare Kabila, évoquant une solidarité continentale entre le Congo et la Namibie, deux nations africaines unies par des défis communs. Mais c’est sur l’est de la RDC, en proie à une guerre qui fait rage depuis des décennies, que l’ancien président concentre son message. « Notre décision en 2001 était claire : toutes les troupes étrangères doivent quitter le Congo pour que la paix soit possible », affirme-t-il, rappelant son engagement historique à l’époque où il succédait à son père, Laurent-Désiré Kabila, assassiné en 2001.
Ces mots résonnent avec une urgence particulière aujourd’hui. Depuis la reprise des hostilités en 2021, le groupe armé M23/AFC, accusé d’être soutenu par Kigali, a repris du terrain dans la province du Nord-Kivu, capturant la ville stratégique de Goma en 2024, comme l’a rapporté l’Institut for the Study of War (Africa File Special Edition: M23 March Threatens Expanded Conflict in DR Congo).
Mais en plus de la présence de l’armée rwandaise, il faut signaler la présence des troupes burundaises, ougandaises, un contingent sudafricain et les troupes de la Monusco auxquelles pourraient s’ajouter les troupes Tchadiennes. Face à cette escalade, les appels de Kabila à une RDC souveraine, débarrassée des armées étrangères, semblent à la fois un écho du passé et une proposition audacieuse pour l’avenir.
Kabila, qui a quitté la présidence en 2019 après 18 ans au pouvoir, revient sur son expérience avec l’accord de paix signé avec les groupes rebelles dans l’est. « Mon conseil est simple : parlez au peuple congolais. Ils savent mieux que quiconque ce qu’ils souffrent et comment y remédier », déclare-t-il, mettant en garde contre les initiatives de médiation extérieure, même celles proposées par des pays d’Afrique de l’Ouest. « Aucun médiateur ne connaît le Congo mieux que les Congolais eux-mêmes», insiste-t-il, plaidant pour une approche centrée sur la bonne volonté des acteurs et des garanties solides pour assurer la durabilité de la paix.
Ces propos interviennent dans un contexte où le président Félix Tshisekedi, réélu en 2023 dans un scrutin controversé, fait face à une pression croissante pour stabiliser l’est et négocier avec la rébellion du M23/AFC, ce qu’il refuse de faire.
Les accusations de corruption, les violences intercommunautaires et l’ingérence régionale – notamment de la part du Rwanda et de l’Ouganda – compliquent les efforts diplomatiques. Le récent rapport de l’Institut for the Study of War met en garde contre un risque d’expansion du conflit, les leaders du M23 et de l’Alliance des Forces pour le Changement (AFC) menaçant même de marcher sur Kinshasa, une perspective qui rappelle les pires heures de la Première et de la Deuxième Guerre du Congo (1998-2003).
Pourtant, l’intervention de Kabila, bien qu’éloquente, suscite des réactions mitigées. Certains, le qualifient de « médiocre » ou d’« aventurier », pointant ses 18 années au pouvoir marquées par des accusations de répression et de mauvaise gestion. D’autres, le décrivent comme un «leader charismatique », voyant dans ses paroles une lueur d’espoir pour une sortie de crise. Mais pour beaucoup, l’ombre de son passé – y compris des soupçons de soutien indirect au M23/AFC, bien qu’inexpliqués – jette un doute sur ses intentions.
Kabila conclut son intervention en évoquant une Afrique unie, plus forte collectivement qu’en tant que « Pays isolés ».
Mais dans un pays où plus de 6 millions de personnes ont été déplacées par les conflits, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ses mots sonnent comme un défi autant qu’une promesse. Alors que le M23/AFC consolide son emprise sur Goma, Bukavu et d’autres localités et villes du pays, que les pourparlers de paix s’enlisent face aux divisions régionales et au refus de Kinshasa de négocier avec les rebelles, les mots de Joseph Kabila résonnent comme un écho à la fois nostalgique et provocateur.
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Dans cette ombre de guerre, l’espoir d’une RDC souveraine et unie, soutenue par une Afrique solidaire, demeure fragile, mais vital, face aux défis d’une paix encore à construire.
Résistant Congolais
Voici le lien YouTube de l’interview en Namibie de Joseph Kabila :
Transcription de l’interview en français
« Dieu sait que nos intentions sont d’être pleinement disponibles pour servir notre pays, servir notre peuple, continuer à servir notre peuple et aussi servir la région, ainsi que l’Afrique, car le Congo est un pays africain, la Namibie est un pays africain. Ce sur quoi nous devrions nous concentrer, ce n’est pas seulement nos petits pays, mais le continent dans son ensemble, car nous sommes plus grands et plus forts en tant que continent, en tant qu’Africains, plutôt que d’être simplement Congolais, Namibiens, et ainsi de suite. Nous avons encore un peu d’énergie pour poursuivre ce service.
Notre décision en 2001 était de croire que toutes les troupes étrangères doivent quitter le Congo pour que la paix soit possible et pour donner aux Congolais la flexibilité de discuter de ce qu’on appelle la paix. C’est ainsi que la plupart de ces troupes sont parties, laissant les Congolais gérer leurs propres problèmes, bien sûr avec le soutien et l’accompagnement des partenaires du Congo, de la région et au-delà, y compris les Nations Unies. Mais est-ce que la même approche peut encore fonctionner aujourd’hui et accomplir le même miracle ? Nous devons nous réunir et approfondir cette réflexion, mais je crois qu’il n’y a rien de plus important qu’un pays souverain prenant ses propres décisions, sans avoir sept armées s’affrontant, y compris des mercenaires, et des centaines de groupes armés. Lorsqu’on a un tel mélange, c’est une situation tout à fait indésirable.
En 2008, Kabila a signé un accord de paix avec les groupes rebelles dans l’est de la RDC, et il a partagé des conseils tirés de son expérience. Mon conseil, si quelqu’un souhaite mon avis sur cette question particulière, serait de parler au peuple congolais ; ils savent mieux, ils savent le mieux, car ils ont déjà vécu cela, ils ont gravi cette montagne, descendu dans la vallée, et il y a une autre montagne à gravir ; ils savent mieux que quiconque ce qu’ils souffrent et comment. Je sais qu’il y a une initiative pour amener des médiateurs d’Afrique de l’Ouest et d’autres pays africains, mais aucun médiateur ne dira jamais qu’il ou elle connaît le Congo mieux que les Congolais eux-mêmes. Je pense que cela devrait être la première étape. Ensuite, la deuxième étape devrait être, bien sûr, la bonne volonté : comment juger les bonnes intentions des acteurs ?