
Imaginez un instant : au cœur de l’Est de la République Démocratique du Congo, des millions de déplacés fuient des violences incessantes, des groupes armés pillent des villages, et des villes comme Goma et Bukavu tombent entre les mains d’une rébellion de « proxy« . Dans ce décor de fin du monde, deux institutions puissantes, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC), dégainent une arme inattendue : un « Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs ». Une initiative ambitieuse, drapée dans les valeurs africaines du « Bumuntu » et de la palabre, qui promet de ramener l’harmonie dans une région déchirée par des décennies de conflits.
Sur le papier, c’est une lueur d’espoir, un cri moral porté par des Églises. Mais à y regarder de plus près, ce pacte ressemble davantage à une belle rêverie qu’à une réponse aux réalités brutales du terrain. Trop philosophique, cruellement dénué de pragmatisme politique et diplomatique, il risque de s’effondrer sous le poids de ses propres abstractions.
UNE ODE AU « BUMUNTU » QUI SONNE CREUX FACE AUX KALACHNIKOVS
Le pacte démarre fort : il invoque le « Bumuntu », cette essence de l’identité africaine qui prône humanité et coexistence, et la tradition de la palabre, où les différends se règlent sous un arbre à l’écoute des sages. Des concepts qui parlent au cœur des Congolais, portés par l’autorité morale des Églises. Mgr Donatien Nshole, Secrétaire Général de la CENCO, y voit même « les bases d’une refondation de l’État », tandis que le cardinal Fridolin Ambongo, dans son message de Pâques 2025, parle d’une « lueur d’espoir » …
C’est poétique, c’est mobilisateur. Mais face à la sauvagerie des conflits en RDC, ça sonne désespérément creux.
Comment le « Bumuntu » peut-il désarmer le M23 ou les dizaines de milices qui sèment la terreur dans l’Est ?
Comment une palabre peut-elle apaiser des rivalités alimentées par l’exploitation illégale des minerais ou les ingérences du Rwanda ?
Le pacte n’a pas de réponse. Il se contente d’un appel à la bonne volonté, invitant sur son site web à « adhérer » en ligne ou à faire un don…
Dans un pays où la méfiance est reine et où les acteurs armés ne jurent que par le profit, cet idéalisme flotte dans le vide, loin des tranchées boueuses du Kivu et les routes cabossées de Kinshasa: pas de précision sur les participants à cette « palabre », pas de mécanismes de bonne fin…
LE GRAND ABSENT : UNE STRATEGIE POLITIQUE QUI MORD
Les conflits en RDC ne sont pas de simples querelles de voisinage.
Corruption galopante, luttes de pouvoir et appétits étrangers forment un cocktail explosif qui nourrit l’instabilité. Pourtant, le pacte, avec ses cinq postulats moralisateurs, fait l’impasse sur ces nœuds gordiens.
Pas un mot sur une réforme de l’armée, gangrénée par l’incompétence et les trahisons. Rien sur la lutte contre la corruption qui siphonne les richesses du pays. Et encore moins sur une stratégie pour renforcer une gouvernance digne de ce nom ou bien sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par les belligerants.
Prenons le cas du M23, accusé par de multiples rapports d’être soutenu par le Rwanda. Le pacte évoque une vague « culture de bonne voisinage transfrontalier« , mais sans un seul levier concret pour faire plier Kigali.
Désarmer les groupes armés ?
Réintégrer leurs combattants ? Silence radio.
Sans réformes institutionnelles ou incitations économiques, cette initiative reste un prêche dans le désert, incapable de s’attaquer aux racines du chaos.
UNE DIPLOMATIE EN APESANTEUR
La crise congolaise n’a pas de frontières : Rwanda, Ouganda, Burundi, tous ont leur part d’ombre dans ce drame régional. Le pacte propose une « Conférence internationale pour la paix », mais l’idée reste floue, déconnectée des efforts déjà en cours. À Luanda et Nairobi, des médiateurs comme le président angolais João Lourenço ont tenté de négocier des cessez-le-feu.
Le pacte, lui, ne s’y arrime pas, flirtant avec le risque d’une redite inutile ou d’une marginalisation.
Pire, il appelle la communauté internationale à bâtir un « continent de justice et de paix » sans dire comment.
Où est le plan pour mobiliser l’ONU, présente avec sa coûteuse MONUSCO, ou l’Union européenne, poids lourd du financement humanitaire ?
Sans plaidoyer précis ni partenariats solides, l’initiative des Églises tourne en rond, isolée dans sa bulle spirituelle.
UN RYTHME D’ESCARGOT FACE A L’URGENCE
Le plan d’action du pacte ?
Des commissions thématiques d’ici fin janvier 2025, un forum national, une conférence internationale.
Ambitieux, oui, mais d’une lenteur exaspérante. Pendant ce temps, des millions de déplacés crient famine, et des villes entières vivent sous la menace des obus.
Des cessez-le-feu négociés ou des réformes sécuritaires d’urgence auraient plus de sens que ce calendrier de marathonien.
Et pour financer tout ça ? Des dons volontaires, dans un pays où l’argent manque déjà pour l’essentiel. Cette dépendance à la charité, sans un budget clair ni une mise en œuvre pratique, achève de rendre le pacte bancal.
LE VERDICT : UN REVE QUI DOIT ATTERRIR
Le « Pacte social pour la paix » est un élan courageux, porté par des Églises qui parlent aux Congolais. Mais pour passer du sermon à l’action, il faut plus que des valeurs et des prières.
Collaborer avec les médiations existantes, pousser des réformes politiques musclées, frapper à la porte des grands acteurs internationaux : voilà ce qui manque cruellement.
Sans ce virage pragmatique, le pacte restera une utopie séduisante, mais impuissante face aux bombes qui grondent en RDC.
La paix ne se gagne pas qu’avec des idéaux – elle se forge dans les compromis et les combats concrets et des projets politiques et diplomatiques solides, capables de ramener la paix et ne pas se limiter à des éternelle palabres abstraites et stériles, dont les congolais affectionnent mais qui sont rarement porteuses de résultats concrets.
Un accord qui ne règle pas les causes profondes du conflit, n‘est qu‘une pause avant la prochaine guerre, dixit Henry Kissinger.