
Au cœur du Katanga, là où le sol crache du cobalt et du cuivre comme un volcan ses cendres, une rumeur tenace agite les esprits. Les « Tigres Katangais », ces fantômes d’un passé tumultueux, seraient de retour.
Sur les réseaux sociaux, dans les ruelles poussiéreuses de Lubumbashi, le nom circule comme une bourrasque avant la tempête. Mais dans une République démocratique du Congo (RDC) déjà à bout de souffle, cette menace est-elle une réalité ou un mirage né de la peur ? Expert en sécurité, je vous emmène dans les méandres de cette énigme qui pourrait bien faire basculer le destin d’une région stratégique.
Une histoire qui refuse de s’éteindre
Pour saisir ce qui se trame, il faut plonger dans les archives encore fumantes de l’histoire katangaise. Les Tigres sont nés dans les années 1960, dans le chaos de la sécession orchestrée par Moïse Tshombe, avec la bénédiction des colons belges. Repoussés, ils ont trouvé refuge en Angola, nourrissant leur rêve d’indépendance au sein du Front de libération nationale du Congo (FLNC). En 1977 et 1978, ils ont frappé fort, défiant Mobutu avant d’être écrasés par une coalition internationale. Plus tard, en 1997, certains ont prêté main-forte à Laurent-Désiré Kabila pour renverser le dictateur, avant d’être relégués aux oubliettes.
Aujourd’hui, le Katanga n’est plus une province unique – découpé en quatre entités depuis 2015 –, mais son identité reste une braise vive.
Les populations locales pestent contre Kinshasa, accusé de piller les richesses minières sans jamais rendre la pareille.
« On vit sur un trésor, et pourtant on crève la faim », me confie un commerçant de Kolwezi, le regard sombre. C’est dans ce terreau de frustrations que les rumeurs d’un retour des Tigres prennent racine.
Des ombres sans visage
Fin 2024, des posts sur X et un article de La Libre Afrique ont jeté de l’huile sur le feu. Un certain Gregg Yambo, leader d’un FNLC-Rénové, aurait clamé vouloir « libérer » le Katanga, peut-être en cheville avec l’Alliance Fleuve Congo. En janvier 2025, un rapport de l’Egmont Institute a évoqué des déportations de Tigres depuis l’Angola vers Kinshasa, avec des whispers d’exécutions sommaires. Mais où sont les preuves ? Pas d’attaques, pas de vidéos, pas de communiqué officiel. Le silence de Kinshasa et de l’ONU est assourdissant. « On nage en pleine guerre de l’info », m’assure un ancien officier des FARDC. Réalité ou intox ? Le doute est roi.
Main au début du moi de mars 2025, une déclaration publique de Gregg Yambo, président du FLNC-Renové, annonce officiellement le ralliement de son mouvement à l’AFC/M23, au nom de l’art 64 de la Constitution de la RDCongo
Un baril de poudre prêt à exploser
Même sans Tigres, le Katanga est une poudrière. Les milices Maï-Maï Kata Katanga, jadis menées par le redoutable Gédéon Kyungu Mutanga, rôdent encore, affaiblies mais pas éteintes. Les tensions ethniques dans le Tanganyika ont chassé des milliers de foyers. Et les FARDC ? Minées par la corruption et un manque criant de moyens, elles tiennent à peine le choc. « C’est un miracle qu’on ne s’effondre pas », me glisse un ex-collègue militaire. Un miracle, oui, mais fragile comme une toile d’araignée.
Si les Tigres ressuscitaient, sous la houlette du FLNC-R, ils pourraient rallier les mécontents et faire trembler la région. Mais sans un appui extérieur – l’Angola des années 1970 n’est plus –, leur punch reste hypothétique. Luanda, n’aurait aucun intérêt à jouer avec ce feu…
Une RDC au bord du gouffre
Pendant ce temps, la RDC vacille. À l’est, le M23/AFC, dopé par le Rwanda selon l’ONU, a pris Goma en janvier 2025 et lorgne Bukavu, déplaçant un demi-million de personnes. Plus de 100 groupes armés pullulent, tandis que le Kasaï s’agite. Le gouvernement de Félix Tshisekedi, fragilisé par des élections chaotiques en 2023, est dépassé. La MONUSCO, en train de plier bagage, regarde le désastre en spectatrice impuissante.
Un front au Katanga serait la goutte de trop. « Nos troupes sont à bout à l’est », dis-je sans détour. « Un soulèvement au sud, et c’est l’implosion. Sans compter l’économie : 70 % de nos exportations viennent de là. » Les mines de cobalt et de cuivre, nerf de la guerre mondiale pour la transition énergétique, ne pardonneraient pas une telle secousse.
Les voisins sur le qui-vive
La Zambie, avec sa frontière perméable, redoute les retombées. L’Angola, ex-sanctuaire des Tigres, scrute la situation, prêt à intervenir si le chaos déborde. « Luanda ne laissera pas une crise menacer sa stabilité », m’avertit un diplomate angolais. Mais pour l’instant, c’est l’attentisme qui domine.
La marche à suivre
Kinshasa doit jouer finement. Une répression aveugle attiserait encore plus le sentiment séparatiste ; l’inaction laisserait la gangrène évoluer.
Laisser le Katanga sombrer, c’est risquer un effet domino aux conséquences globales, aussi bien sur toute la RDC que pour toute l’Afrique Centrale.
Le crocodile ne dort jamais
Alors, les Tigres Katangais, en tant que FLNC-R, sont-elles ressuscitées de leurs cendres ? Mythe ou menace ? Pour l’heure, ils semble rester une ombre à peine distincte. Mais dans un pays où l’histoire bégaie, mieux vaut ne pas sous-estimer le grondement au loin.
Comme le dit un proverbe du coin : « Quand le fleuve est calme, c’est que le crocodile dort. » Et ici, les crocodiles ont le sommeil léger.
Les dernières déclarations publiques des Tigres Katangais, de mars 2025:
Voir la vidéo de la déclaration en annexe.