
L’Est du Congo : un échiquier géopolitique brûlant où l’Ouganda joue sur plusieurs tableaux
Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu s’enfoncent dans une spirale de conflits où se mêlent ambitions régionales, ressources naturelles et héritages historiques. Un texte récent, rédigé par un observateur averti, décortique cette situation explosive avec une lucidité saisissante. Entre l’Ouganda qui muscle sa présence militaire, le Rwanda qui soutient le M23, et un gouvernement congolais dépassé, la région ressemble à un échiquier où chaque pion avance avec des objectifs troubles. Plongée dans ce chaos multilatéral.
L’OUGANDA JOUE SUR PLUSIEURS TABLEAUX
Les troupes ougandaises sont déjà bien implantées en Ituri et dans le nord du Nord-Kivu, mais elles évitent pour l’instant de plonger directement dans le bras de fer entre Kinshasa et le M23, ce groupe rebelle soutenu par le Rwanda. Leur rôle ? Une assistance logistique discrète, notamment lors de la première phase de l’offensive du M23, qui a vu certaines zones, comme le territoire de Rutshuru, passer sous contrôle rebelle. Pourtant, l’Ouganda ne suit pas aveuglément Kigali : si les deux pays sont alliés dans le Kivu, où Kampala voit dans le M23 un « problème politique » ou des « frères » à soutenir, l’Ouganda se range aussi aux côtés du Congo pour traquer les ADF-ISCAP, une milice islamiste active dans la région.
Mais ces derniers jours, l’Ouganda a franchi un cap. Sous la houlette du général Muhoozi Kainerugaba, fils du président Museveni, les forces ougandaises ont débarqué en force à Bunia, capitale de l’Ituri. Prétexte officiel : protéger la communauté Hema contre les assauts des Lendus, face à l’incapacité supposée du Congo à assurer leur sécurité. Kinshasa, embarrassé, minimise l’affaire en la présentant comme une simple extension de l’opération Shujaa, une collaboration militaire avec l’Ouganda contre les ADF. Une explication qui peine à convaincre : pour beaucoup, cette présence renforcée sent l’occupation déguisée, un écho aux interventions passées de l’Ouganda dans la région, notamment lors des guerres de 1996-1997 et 1998-2003.
RWANDA ET OUGANDA : ALLIES OU RIVAUX ?
L’histoire entre le Rwanda et l’Ouganda est un feuilleton à rebondissements. Paul Kagame et Yoweri Museveni, figures tutélaires des deux nations, ont forgé leur alliance dans le sang des combats des années 1980, lorsque Kagame, jeune officier, aidait Museveni à s’emparer de Kampala en 1986. Mais cette fraternité a ses limites. En 2000, pendant la deuxième guerre du Congo, leurs armées s’affrontaient sur le sol congolais, révélant des ambitions divergentes. Aujourd’hui, leurs priorités restent distinctes : le Rwanda, focalisé sur le Kivu et le M23, snobe l’Ituri, tandis que l’Ouganda y voit une opportunité stratégique.
Les tensions ont culminé entre 2019 et 2022, avec la fermeture des frontières pendant près de trois ans. Leur réouverture, début 2022, coïncide étrangement avec le début de l’offensive actuelle du M23. Hasard ou calcul ?
Cette « pacification » des relations a sans doute facilité l’invasion rwandaise dans le Kivu, mais l’imprévisibilité du général Kainerugaba, dauphin pressenti de Museveni, ajoute une couche d’incertitude. À 78 ans, Museveni vieillit, et son fils, connu pour ses coups d’éclat, pourrait bouleverser cet équilibre fragile.
RESSOURCES ET RACINES HISTORIQUES : AU-DELA DE L’OR
L’est du Congo regorge de richesses : or, coltan, cassitérite. Pourtant, réduire le conflit à une guerre des ressources serait une erreur. Oui, ces minerais attisent les convoitises, mais les racines du chaos plongent bien plus loin. Elles remontent à la décolonisation chaotique des années 1960, marquée par la crise du Congo et la révolution hutu au Rwanda. La fin de la guerre froide, en libérant les appétits régionaux, a permis à Kigali et Kampala de renverser Mobutu en 1996-1997, déclenchant un engrenage infernal. La guerre civile rwandaise (1990-1994), le génocide, et l’exode massif de réfugiés vers l’est du Congo ont posé les bases de ce « mécanisme terrifiant » qui perdure.
En Ituri, le conflit Hema-Lendu, ravivé ces derniers jours, n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans la continuité de la guerre de 1998-2003, elle-même héritière des précédentes. Les ADF, aujourd’hui islamistes, étaient à l’origine des opposants à Museveni, illustrant la fluidité des alliances et des inimitiés dans la région.
Un cessez-le-feu en lambeaux
La situation militaire s’est embrasée ces derniers mois. L’avancée du M23 est fulgurante, dopée par l’échec d’un sommet à Luanda en décembre dernier. Ce fiasco a torpillé le cessez-le-feu de l’été, laissant le champ libre aux rebelles sur les fronts sud et est, même si les lignes nord et ouest tiennent encore. Kinshasa, dépassée, a appelé à l’aide la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et la SADC. L’Afrique du Sud a répondu, le Burundi a envoyé des troupes, mais la MONUSCO, présente depuis des décennies, semble impuissante face à l’ampleur du désastre.
Le dernier rapport semestriel du Groupe d’experts de l’ONU, qualifié de « fondamental », offre un éclairage précieux sur ces dynamiques. Violations des droits humains, mouvements de troupes, jeux d’alliances : tout y est disséqué, soulignant l’urgence d’une réponse concertée.
Un puzzle insoluble ?
L’est du Congo est un théâtre de guerre où les acteurs jonglent entre coopération et trahison.
L’Ouganda et le Rwanda, alliés par nécessité, poursuivent des agendas distincts. Les groupes armés, du M23 aux ADF, exploitent les failles d’un État congolais affaibli. Et derrière les armes, les fantômes du passé colonial et des guerres post-indépendance continuent de hanter la région. Résoudre ce conflit demandera plus que des médiations hâtives ou des déploiements militaires : il faudra démêler cet enchevêtrement d’intérêts, de rancunes et d’ambitions.
En attendant, l’Ituri et le Kivu brûlent, pris en étau dans un jeu géopolitique sans fin des ambitions rwandaises et ougandaises.
Résistant Congolais