BURUNDI EN RDC : SECURITE, OR ET JEU D’ÉCHECS REGIONAL

GITEGA/BUKAVU– Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où les conflits armés rongent les terres riches en minerais depuis trois décennies, un acteur discret mais déterminé émerge: le Burundi. Officiellement, Bujumbura justifie son déploiement militaire par la « lutte contre le terrorisme». Mais derrière ce discours se cachent des enjeux bien plus opaques, mêlant sécurité intérieure, appétits économiques et calculs géopolitiques.

Sécurité: La Menace des Rebelles et le Spectre de l’Instabilité

Le Burundi, dirigé d’une main de fer par le parti CNDD-FDD depuis 2005, redoute par-dessus tout une résurgence des rébellions qui ont ensanglanté son histoire. En ciblant les bases des groupes RED-Tabara et FNL – des mouvements hostiles au pouvoir burundais, réfugiés dans les forêts congolaises –, l’armée burundaise tente de couper l’herbe sous le pied de ses adversaires. « Ces groupes utilisent la RDC comme sanctuaire. Les frapper là-bas, c’est se protéger ici », explique un officier sous couvert d’anonymat.

Mais cette stratégie comporte un risque: s’enliser dans un conflit congolais aussi vaste que complexe.

Or, Routes et Trafics : L’Économie Souterraine d’une Guerre

Si la sécurité justifie l’intervention, l’argent en serait le carburant caché. La province du Sud-Kivu, où opèrent les troupes burundaises, regorge d’or – un minerai qui, selon des rapports de l’ONU et d’ONG, alimente un trafic transfrontalier florissant. Des sources locales à Bukavu affirment que des militaires burundais « protègent » des sites miniers illégaux, tandis que l’or congolais s’écoule vers Bujumbura via des réseaux informels.

«C’est un secret de Polichinelle: certains officiers burundais touchent des taxes sur l’exploitation minière en RDC », dénonce un activiste congolais, sous pseudonyme. Un business juteux, dans un pays où 70 % de la population burundaise vit sous le seuil de pauvreté.

Géopolitique: Le Burundi contre le Rwanda ?

L’engagement de Bujumbura s’inscrit aussi dans une rivalité régionale larvée. Alors que Kigali est accusé de soutenir le M23 (un groupe rebelle congolais), le Burundi, en positionnant ses troupes au Sud-Kivu, affiche sa volonté de contrer l’influence rwandaise. « C’est une manière de rappeler qu’il reste un acteur clé dans la région», analyse un diplomate européen basé à Nairobi.

Cette stratégie permet également au président Évariste Ndayishimiye de cultiver des alliances – avec la Tanzanie ou le Kenya – au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), tout en renforçant sa légitimité en interne. « Défendre la RDC, c’est défendre les Africains», clame-t-il dans ses discours, un nationalisme teinté de realpolitik.

Les Pièges de l’Engagement

Mais l’opération n’est pas sans risques. La RDC, exaspérée par l’inefficacité des forces régionales de la CAE, a récemment tout fait pour les expulser. Kinshasa soupçonne surtout des motivations peu avouables: « Certains voisins viennent en sauveurs, mais leurs mains sont couvertes de notre or », tonne un député congolais.

Sur le terrain, les civils paient le prix fort. Malgré la présence burundaise, les attaques contre les villages persistent, et le trafic de minerais alimente toujours les caisses noires. « Ils disent nous protéger, mais nous ne voyons que des soldats et de la misère et nous craignons la présence des Imbonerakures (1) dans leurs rangs», résume une habitante de Fizi, en territoire contrôlé par Bujumbura.

Un Jeu à Hauts Risques

Entre sécurisation et prédation, le Burundi marche sur une corde raide. Son engagement en RDC, s’il renforce sa stature régionale, pourrait aussi l’enfermer dans une logique de guerre économico-militaire – une dynamique qui, dans les Grands Lacs, a souvent conduit à l’embrasement plutôt qu’à la paix.

La Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB) augmente son impact dans l’est de la RDC, où elle compte désormais près de 12 000 soldats déployés.

« Depuis 2014-2015, le Burundi vadrouille dans la plaine de la Ruzizi à la recherche de ses propres groupes armés mais aussi en renforçant d’autres groupes armés sur le sol congolais. Aujourd’hui, ils viennent officiellement mais comment va-t-on gérer le rapport entre les populations et ces forces burundaises qui ont déjà commencé à attaquer les groupes armés ? », s’interroge Josaphat Musamba, chercheur de l’université de Gand, en Belgique.

Une chose est sûre: dans l’est congolais, terre de tous les dangers et de toutes les convoitises, les motivations des acteurs ne sont jamais à prendre au pied de la lettre.

Résistant Congolais

(1) Les Imbonerakure sont une milice politique liée au parti au pouvoir burundais (CNDD-FDD). Officiellement présentés comme une « ligue des jeunes », ils agissent comme un bras armé du régime, responsables de surveillance, d’intimidation, de tortures et de répression contre les opposants, les journalistes et les militants des droits de l’homme. Organisés en réseau et soutenus par l’État, ils contrôlent la population, manipulent les élections et terrorisent les dissidents. Leur impunité et leurs exactions, documentées par l’ONU, ont poussé des centaines de milliers de Burundais à l’exil.

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