
Analyse du Sommet SADC-CEEA: un Plan Audacieux pour l’Est de la RDC, mais des Défis importants à Surmonter
Le sommet conjoint de la SADC (Communauté de Développement de l’Afrique Australe) et de la CEEA (Communauté de l’Afrique de l’Est), tenu à Dar es Salaam le 8 février 2025, a dévoilé une série de mesures ambitieuses pour tenter de résoudre la crise sécuritaire dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Si les décisions prises marquent une avancée diplomatique notable, leur mise en œuvre sur le terrain s’annonce complexe. Voici une analyse des points clés et de leurs implications.
1. Un Cessez-le-feu Immédiat: une Mesure Urgente, mais Fragile
Le sommet a ordonné un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, accompagné d’une cessation des hostilités. Sur le papier, cette mesure pourrait offrir un répit bienvenu aux populations civiles, particulièrement dans les zones éprouvées comme le Nord-Kivu, où les combats entre le M23, les FARDC (Forces Armées de la RDC) et d’autres groupes armés font rage.
Cependant, l’histoire récente montre que les cessez-le-feu dans la région sont souvent éphémères. Sans mécanismes de surveillance crédibles – comme des observateurs internationaux ou des drones – cette décision risque de rester symbolique. La question clé sera de savoir comment garantir son respect sur le terrain.
2. Sécuriser Goma et Rouvrir les Axes Stratégiques
Goma, capitale du Nord-Kivu et plaque tournante économique, est au cœur des préoccupations. Le sommet a ordonné un plan de sécurisation de la ville et de ses environs, ainsi que la réouverture des routes stratégiques (Goma–Bukavu, Goma–Bunagana) et de l’aéroport de Goma.
Cette décision est cruciale. Goma est un symbole de la souveraineté congolaise, et sa chute aux mains des rebelles, comme en 2012 avec le M23, serait un désastre politique et humanitaire. Cependant, sécuriser ces axes et rouvrir l’aéroport exigera une coordination militaire précise, notamment pour prévenir les embuscades et les attaques des groupes armés.
3. Fusionner les Processus de Luanda et Nairobi : Une Avancée Diplomatique
L’une des décisions les plus marquantes du sommet est la fusion des processus de Luanda (initié par l’Angola) et de Nairobi (mené par la CEEA) en un seul cadre, baptisé « Processus Luanda/Nairobi ».
Cette fusion vise à harmoniser les efforts régionaux, souvent fragmentés entre la SADC, qui soutient Kinshasa, et la CEEA, plus inclusive et impliquant le Rwanda. Sur le plan diplomatique, c’est une avancée majeure. Mais elle devra surmonter les tensions persistantes entre la RDC et le Rwanda, accusé de soutenir le M23. La réussite de ce processus dépendra de la capacité des deux pays à coopérer malgré leurs griefs mutuels.
4. Impliquer le M23 et les Autres Acteurs: Une Nécessité Pragmatique
Le sommet a également ordonné la reprise des négociations avec toutes les parties prenantes, y compris le M23, dans le cadre du Processus Luanda/Nairobi.
Impliquer le M23, l’un des principaux groupes armés actifs, est une décision pragmatique. Sans leur participation, tout accord risque d’être bancal. Cependant, cette inclusion pourrait provoquer des tensions avec Kinshasa, qui considère le M23 comme un groupe terroriste. Par ailleurs, l’implication d’autres acteurs non étatiques et locaux élargit le champ des solutions, mais rend les négociations plus complexes.
5. Neutraliser la FDLR et Désengager le Rwanda : Un Désamorçage Délicat
Le sommet a appelé à la neutralisation de la FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), un groupe armé anti-Rwanda, et au désengagement des forces rwandaises en RDC.
Cette mesure vise à apaiser les tensions entre la RDC et le Rwanda, un préalable essentiel à toute résolution durable du conflit. Cependant, neutraliser la FDLR, enracinée dans la région depuis 25 ans, sera un défi opérationnel de taille. Quant au désengagement rwandais, il nécessitera une vérification indépendante pour éviter les accusations mutuelles.
6. Retirer les Forces Étrangères Non Invitées: Une Question Épineuse
Le sommet a également ordonné l’élaboration de modalités pour le retrait des forces étrangères non invitées du territoire congolais.
Cette décision vise notamment les forces rwandaises présumées en RDC, ainsi que les mercenaires. Cependant, sans présence internationale pour superviser ce retrait, sa mise en œuvre restera opaque et sujette à controverse.
7. Une Feuille de Route à Élaborer: Structurer les Efforts
Dans les 30 jours, une réunion des ministres de la SADC et de la CEEA devra élaborer une feuille de route détaillée, incluant des mesures immédiates, à moyen et long terme.
Ce calendrier impose un cadre temporel strict, avec des étapes claires, comme le rapport des chefs militaires dans 5 jours. Cependant, aucune mention n’a été faite des ressources financières nécessaires pour soutenir ces efforts. Sans financement adéquat, les opérations de paix et la reconstruction risquent de patiner.
8. Implications Régionales et Internationales: Un Rôle Crucial pour l’UA
La présence de Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine, souligne l’importance de ce sommet pour l’ensemble du continent. Cependant, l’UA devra mobiliser ses membres pour soutenir les décisions prises.
Par ailleurs, les populations congolaises, épuisées par des décennies de conflit, attendront des résultats concrets: désarmement des groupes armés, retour des déplacés et accès aux services de base.
Conclusion: Un Plan Audacieux, mais des Défis Colossaux
Le sommet SADC-EAC a posé les bases d’une réponse régionale coordonnée à la crise en RDC.
Les décisions prises, notamment le cessez-le-feu, la sécurisation de Goma et la fusion des processus de Luanda et Nairobi, témoignent d’une volonté politique forte.
Cependant, la réussite de ce plan dépendra de plusieurs facteurs:
la coopération entre la RDC et le Rwanda, la mise en place de mécanismes de suivi crédibles, et le soutien financier de la communauté internationale.
Bref, on constate: pas de condamnation du Rwanda; demande de négociations directes avec le M23/AFC; pas d’intervention militaire immédiate en soutien des FARDC.
Sans ces éléments, les décisions du sommet risquent de rester un vœu pieux, et l’Est de la RDC pourrait continuer à sombrer dans un cycle de violence sans fin.
Résistant Congolais
_____________________________________________________
Traduction Intégrale en Français
__________________________________________________________
COMMUNIQUÉ DU SOMMET JOINT DES CHEFS D’ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DE LA CEEA – SADC
8 FÉVRIER 2025
Le Sommet Joint des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CEEA) et de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) (ci-après dénommé « Sommet Joint ») s’est tenu à Dar es Salaam, dans la République-Unie de Tanzanie, le 8 février 2025, dans une atmosphère cordiale, afin de délibérer sur la situation sécuritaire en République Démocratique du Congo (RDC).
Le Sommet Joint a été coprésidé par :
- Son Excellence le Dr William Samoei Ruto, CGH, Président de la République du Kenya et Président de la CEEA ;
- Son Excellence le Dr Emmerson Dambudzo Mnangagwa, Président de la République du Zimbabwe et Président de la SADC.
Le Sommet Joint a réuni les Chefs d’État et de Gouvernement suivants :
- (i) Son Excellence le Dr William Samoei Ruto, CGH, Président de la République du Kenya ;
- (ii) Son Excellence le Dr Emmerson Dambudzo Mnangagwa, Président de la République du Zimbabwe ;
- (iii) Son Excellence la Dr Samia Suluhu Hassan, Présidente de la République-Unie de Tanzanie ;
- (iv) Son Excellence Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République Démocratique du Congo ;
- (v) Son Excellence Matamela Cyril Ramaphosa, Président de la République d’Afrique du Sud ;
- (vi) Son Excellence Hassan Sheikh Mohamoud, Président de la République Fédérale de Somalie ;
- (vii) Son Excellence Paul Kagame, Président de la République du Rwanda ;
- (viii) Son Excellence Yoweri Kaguta Museveni, Président de la République d’Ouganda ;
- (ix) Son Excellence M. Hakainde Hichilema, Président de la République de Zambie ;
- (x) Son Excellence le Lieutenant Général Gervais Ndirakobuca, Premier Ministre, représentant Son Excellence Evariste Ndayishimiye, Président de la République du Burundi ;
- (xi) Son Excellence l’Ambassadeur Téte Antonio, Ministre des Relations Extérieures, de la République d’Angola, représentant Son Excellence Joao Manuel Gongalves Lourengo, Président de la République d’Angola ;
- (xii) L’Honorable Nancy Gladys Tembo, Ministre des Affaires Étrangères, représentant Son Excellence le Dr Lazarus McCarthy Chakwera, Président de la République du Malawi ;
- (xiii) L’Honorable Deng Alor Kuol, Ministre des Affaires de la Communauté de l’Afrique de l’Est, représentant Son Excellence Salva Kiir Mayardit, Président de la République du Soudan du Sud ;
- (xiv) L’Honorable Lieutenant Général Lala Monja Delphin Sahivelo, Ministre des Forces Armées, représentant Son Excellence Andry Rajoelina, Président de la République de Madagascar.
10. La séance d’ouverture du Sommet Joint a été honorée par la présence de Son Excellence Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine. Le Secrétaire Exécutif de la SADC, Son Excellence M. Elias Magosi, ainsi que la Secrétaire Générale de la CEEA, Son Excellence Veronica M. Nduva, CBS, ont également participé.
Le Sommet Joint a noté que les sommets de la CEEA et de la SADC tenus respectivement le 29 janvier 2025 et le 31 janvier 2025 avaient contribué au processus visant à instaurer une paix et une sécurité durables dans l’Est de la RDC. Face à la détérioration de la situation sécuritaire, il a été jugé nécessaire de convoquer immédiatement un Sommet Joint de la SADC et de la CEEA afin de délibérer sur la marche à suivre.
Le Sommet Joint a exprimé son inquiétude quant à la détérioration de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, situation ayant entraîné des pertes en vies humaines et provoqué une crise humanitaire, affectant particulièrement les femmes et les enfants. Il a également présenté ses condoléances pour les récentes pertes de vies et souhaité un prompt rétablissement aux blessés.
Par ailleurs, le Sommet Joint a fait part de son inquiétude face à l’escalade de la crise, matérialisée par des attaques contre les missions diplomatiques, les ambassades et le personnel basé à Kinshasa, et a exhorté le Gouvernement de la RDC à protéger les vies et les biens, tout en respectant les principes juridiques et moraux de longue date, notamment en ce qui concerne le respect des missions de paix en RDC (telles que MONUSCO et autres).
Le Sommet Joint a rappelé que lors des précédents sommets de la CEEA et de la SADC, il avait été demandé : (a) La cessation des hostilités et la mise en place immédiate d’un cessez-le-feu ;
11-13. (b) La restauration des services essentiels et des lignes d’approvisionnement pour la nourriture et autres produits de première nécessité afin d’assurer l’appui humanitaire ; (c) Le règlement pacifique du conflit à travers le processus Luanda/Nairobi.
Le Sommet Joint a examiné le rapport de la réunion conjointe des ministres de la CEEA et de la SADC sur la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC et a souligné que l’engagement politique et diplomatique demeurait la solution la plus durable au conflit.
Il a ensuite ordonné aux Chefs des Forces de Défense de la CEEA et de la SADC de se réunir dans un délai de cinq (5) jours afin de fournir des orientations techniques sur :
- (a) L’instauration immédiate et inconditionnelle d’un cessez-le-feu et la cessation des hostilités ;
- (b) La fourniture d’une assistance humanitaire, incluant le rapatriement des défunts et l’évacuation des blessés ;
- (c) L’élaboration d’un plan de sécurisation pour Goma et ses environs ;
- (d) L’ouverture des principales routes d’approvisionnement, incluant : • Goma–Sake–Bukavu ; • Goma–Kibumba–Rumangabo–Kalengera–Rutshuru–Bunagana ; • Goma–Kiwanja–Rwindi–Kanyabayonga–Lubero, avec la possibilité de naviguer sur le Lac Kivu entre Goma et Bukavu ;
- (e) La réouverture immédiate de l’aéroport de Goma ; et
- (f) Des recommandations relatives à d’autres interventions facilitatrices.
Le Sommet Joint a réaffirmé l’importance cruciale des processus de Luanda et de Nairobi et a décidé de les fusionner en un processus unique, dénommé « Processus Luanda/Nairobi ». Il a également résolu de renforcer ce processus fusionné afin d’en améliorer la complémentarité, en mandatant les coprésidents, en consultation avec l’Union Africaine, pour envisager la nomination de facilitateurs supplémentaires (y compris issus d’autres régions d’Afrique) pour soutenir ce processus.
Le Sommet a par ailleurs ordonné la reprise des négociations et du dialogue direct avec toutes les parties étatiques et non étatiques (tant militaires que non militaires), y compris le groupe M23, dans le cadre du processus Luanda/Nairobi. Il a appelé à la mise en œuvre du Concept d’Opérations (CONOPS) du plan harmonisé pour la neutralisation de la FDLR et à la levée des mesures défensives du Rwanda (c’est-à-dire le désengagement des forces) en RDC, conformément aux accords du processus de Luanda.
En outre, le Sommet Joint a ordonné la convocation d’une Réunion conjointe des ministres de la CEEA et de la SADC dans un délai de trente (30) jours pour délibérer sur :
- (a) Le rapport de la Réunion conjointe des Chefs des Forces de Défense concernant le cessez-le-feu et la cessation des hostilités ;
- (b) La mise en place d’un mécanisme de coordination technique au niveau du secrétariat afin de suivre la mise en œuvre des décisions du Sommet ;
- (c) L’élaboration d’une feuille de route détaillant les mesures de mise en œuvre immédiates, à moyen et à long terme, y compris les modalités de financement ; et
- (d) Le traitement de toutes les questions résiduelles relatives à l’atteinte d’une paix et d’une sécurité durables dans l’Est de la RDC, avec formulation de recommandations à soumettre lors du prochain sommet conjoint de la CEEA-SADC.
Le Sommet Joint a également ordonné que soient élaborées et mises en œuvre des modalités pour le retrait des forces armées étrangères non invitées du territoire de la RDC.
18. Le Sommet Joint a réaffirmé sa solidarité et son engagement indéfectible à continuer de soutenir la RDC dans sa quête de sauvegarde de son indépendance, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, ainsi que pour la promotion d’une paix, d’une sécurité et d’un développement durables.
49. Il a été décidé que des consultations similaires seraient organisées au moins une fois par an, et chaque fois que nécessaire, afin de revoir les questions d’intérêt commun aux deux régions.
20. Le Sommet Joint a félicité Son Excellence la Dr Samia Suluhu Hassan ainsi que le Gouvernement et le peuple de la République-Unie de Tanzanie pour l’organisation du Sommet.
24. Le Sommet a exprimé sa gratitude aux présidents de la CEEA et de la SADC pour avoir coprésidé avec succès le Sommet Joint et pour leur leadership en vue d’atteindre une paix et une sécurité durables dans l’Est de la RDC et dans l’ensemble de la région.
22. Enfin, le Sommet Joint a exprimé son appréciation aux secrétariats de la CEEA et de la SADC pour les travaux préparatoires ayant conduit à ce sommet.
FAIT à Dar es Salaam, dans la République-Unie de Tanzanie, le 8 février 2025, en anglais, en français et en portugais, toutes les versions faisant foi de manière égale.